François-Gastineau

François-Gastineau

A PAULINE

A PAULINE  
 
 
Boutigny  ce vendredi 18 janvier (1952) matin à la lueur d'une bougie.
 
Pauline, mon amour
 
La désintégration nucléaire* n'ayant pas encore été utilisée en France pour la production de l'électricité ... oh !!! Tout mon effet est coupé, tout mon effet oratoire ! L'électricité vient de se rallumer d'un seul coup. Ça alors ! Je venais à peine d'écrire cette phrase tout en éteignant ma bougie que plof repane ! Renoir ! Mon effet est coupé et la situation redevient la même. Je t'écris près d'un chandelier, mais oui. Dis-moi, je commençais une belle entrée matière, n'est-ce-pas ? Fi, est-ce là une lettre d'amour ? Peut-être, sait-on jamais. Pauline, la lumière est très douce, c'est la lumière d'une bougie. Quand je verrai belle-maman, je lui chanterai les louanges de l'éclairage aux bougies. Dame, à Vrizy, au lieu d'avoir l'électricité dans la pièce de devant et la lampe à pétrole dans les autres (ce qui est très compliqué), il serait si simple de n'utiliser que les bougies. Un simple chandelier suffirait. Rien de tel pour ne pas heurter les yeux d'un trop vif éclat. Cela ne donne qu'un peu de lumière au milieu d'une grande partie d'obscurité. C'est poétique et cela permet aux amoureux de s'embrasser en paix. L'électricité vient de revenir après être partie encore une fois. Je me méfie et laisse un peu ma bougie. J'ai envie de l'éteindre, l'électricité pas ma bougie. Oui, pour ne pas user mes pauvres yeux ! Oh, je me suis trompé et voilà ma bougie morte. Cela sent bon et me plaît : une petite colonne montait dans l'air il y a trois secondes. C'est un parfum que maman n'aime pas. Mais maman est couchée, c'est qu'il est très tôt exactement 7h51.
J'espère que tu es bien rentrée hier et surtout sans avoir trop froid car il a dû geler cette nuit. Tu dois encore dormir pour réparer les forces usées à se promener sagement dans les rues de Paris sous le soleil et sous la grêle, sous la pluie et dans le vent. Tu sais, si je suis ton calorifère, comme tu me le dis, je n'arrive pas à réchauffer à 200 km de distance. Le soleil est plus fort que moi et pourtant je ne l'ai pas choisi comme emblème bien que je descende de Louis XV !!
Sans doute vas-tu parler de Roudoudou à tes gosses ce matin ou demain. Cela me fait penser que papa y a abonné sa classe voilà au moins 15 jours et qu'il n'a toujours absolument rien reçu. Cela fait tout de suite très, très sérieux. L'électricité dure vraiment cette fois. J'ai dit à mes parents que mes futurs beaux-parents viendraient fin janvier ce à quoi maman m'a répondu : " quand ? Car c'est bientôt fin janvier, c'est la semaine prochaine." Je livre cette réflexion à ma chérie. Il va falloir ce matin que j'enfile mon passe-montagne et ainsi je pédalerai en ta compagnie. C'est toi qui vas me tenir chaud, c'est toi qui seras mon petit calorifère. C'est juste, n'est-ce-pas ? Chacun son tour. J'ai trouvé, en rentrant hier, des gravures envoyées par la Hongrie nouvelle. Il y a sur une brochure un kazakh qui a un beau passe-montagne qui ressemble au mien et qui embrasse un petit hongrois. Pauline, comme cette lettre est excellente : style, écriture, orthographe, tout est irréprochable. C'est merveilleux, ne trouves-tu pas ?
Pauline, Pauline, je t'aime comme un fou. Ton Jacques.
 
 
*Le premier réacteur nucléaire français de production industrielle d’électricité date de 1956.

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19/05/2015
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